Rwanda : KABUGA ou la patate chaude




Félicien Kabuga, arrêté récemment en France en exécution d’un mandat d’arrêt international émis jadis par le TPIR  ne sera très probablement jamais jugé.

Sitôt arrêté, sitôt transféré aurait souhaité le parquet parisien qui a tenté d’accélérer  la procédure au point de susciter les énergiques protestations des défenseurs de Félicien KABUGA.  Cette précipitation serait motivée , prétend-on, par le grand âge de cet homme autant que par son état de santé.

Mais il apparait bien que Paris souhaite éviter une seconde instruction sur les crimes commis au Rwanda par des proches du pouvoir. Celle qui a été conduite sur l’attentat du 6 avril 1994, s’est révélée désastreuse pour les relations franco-rwandaises avant de l’être pour la réputation de la justice française. Et les deux ou trois condamnations infligées par les cour d’Assises française à des lampistes  n’ont rien arrangé.

Or une instruction du dossier Kabuga conduite en France amènerait assez inévitablement aux mêmes difficultés  que celles rencontrées par l’instruction sur l’attentat qui, le 6 avril 1994, a déclenché le génocide au Rwanda.

En effet, les magistrats instructeurs instruisant à charge et à décharge le dossier Kabuga, vont arriver inévitablement à des conclusions pour le moins mitigées.  Déjà, bien que ne soit pas là l’essentiel de mon propos, force est de considérer que la défense de Félicien Kabuga semble ne pas manquer d’arguments[1]  Elle a d’ores et déjà fait savoir que :

Créateur des Interahamwe? On sait depuis longtemps que  ce n’est pas lui ;
Importateur de machettes? Il ne fut ni le seul ni le plus important d’entre eux ;
Propriétaire et financier de la RTLM? il n’en détient qu’une infime partie des actions et plusieurs des mille et quelques actionnaires, parmi ceux qui ont investi bien davantage que lui, seraient aujourd’hui membres influents de l’actuel establishment kagamesque à Kigali ;
Planificateur du génocide? le TPIR (Cf. infra) a fait litière  de toute planification ;
Membre de l’Akazu? Christophe MFIZI, créateur de ce concept d’Akazu a expliqué depuis longtemps comment il avait inventé cela pour discréditer Habyarimana.
 Il serait en effet assez surprenant que le Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux (MTPI) ne tienne pas compte de précédents jugements rendus par le TPIR, dont par exemple les arrêts concernant le colonel BAGOSORA ou Protais Zigiranyirazo[2] . On entendrait donc de belles joutes verbales dans les prétoires si ce procès devait se tenir un jour. Le mythe d’une planification du génocide par l’Akazu ou par on ne sait quel réseau Zéro,  inventé pour la circonstance et répété ad libitum par des experts auto-proclamés,  risquerait fort de ne pas leur survivre.

 Mais, ces quelques raisons ne sont pas les seules à militer pour un nouveau déni de justice et un nouveau refus de juger ce dossier.

Félicien Kabuga étant accusé d’avoir créé les Interahamwe, il va falloir  instruire sur la création opérée à la fin de 1991 de ce regroupement de la jeunesse du MRND. Puis on devra évoquer leur évolution en 1993 et leurs crimes commis au Rwanda en 1994.  Voire au Congo ultérierement. Sera inévitablement évoqué le cas d’un certain Anastase Gasana, véritable fondateur des Interhamwe[3] au sein du MRND avant de passer en 1993, avec une partie de ses Interhamwe, à la fraction du MDR qui flirtait avec le FPR de Kagame. Après avoir été ministre[4] dans le gouvernement multipartite d’Agathe Uwilingiyimana (18 juillet 1993 au 7 avril 1994), farouchement opposée au président Habyarimana, Anastase Gasana, fondateur des  Interahamwe, était déjà l’allié objectif du FPR de Kagame dans la déstabilisation du président Habyarimana.

Il faudra se demander si les Interahamwe de 1994 étaient les mêmes que ceux de 1992,  et examiner quelle partie d’entre eux a suivi Gasana pour se rapprocher du FPR. On se demandera inévitablement si, finalement, le terme Interahamwe appliqué aux assassins de 1994 n’est pas attribué à tort à des militants d’autres milices (PL, PSD , CDR voire infiltrés par le FPR). Nombreux ont été les citoyens rwandais lambda n’ayant jamais appartenu à quelque milice que ce soit à être condamné pour génocide par les gaçaças. Certains ont pu être révulsés par l’assassinat du président Habyarimana. Beaucoup d’autres, victimes dans le Nord des crimes commis par le FPR, chassés de chez eux pour être entassés par centaines de milliers au nord de Kigali dans des camps sordides,  étaient ulcérés par deux années (92 à 94) de souffrance incommensurable. S’ils n’ont pas été massacrés[5] lors de  l’offensive déclenchée par le FPR à partir du CND dès le 7 avril au matin, ils ont pu manifester leur colère longtemps contenue sans jamais avoir été Interahamwe.

Sera inévitablement évoqué également le cas de Robert Kajuga, qui a reçu la présidence des Interahamwe et l’a conservée jusqu’en 1994 inclus  Certains ont témoigné sous serment devant le TPIR[6] que ce jeune tutsi, proche de Jeannette Kagame, agissait en fait pour le compte du FPR. Cet aspect du fonctionnement des  Interahamwe amènera inévitablement à examiner quelle était l’autorité donnant réellement les ordres à ce mouvement. La plus apparente n’était peut-être pas la plus pregnante.

Ce ne serait d’ailleurs pas le premier infiltré par le FPR dans les cercles de décision du pouvoir Habyarimana. On se souvient de Janvier Afrika sur lequel Carbonare de Survie a construit le mythe de la préparation du génocide dans le rapport de mars 1993[7] comme devant les écrans de télévision français. Nul ne conteste aujourd’hui que Janvier Afrika mentait alors sur ordre  de Kagame . Reste à définir qui a doné ordre à Carbonare de donner à ce mensonge l’ampleur qu’on a connue.

Ainsi, entre le véritable fondateur des Interahamwe, Anastase GASANA,  qui fit une belle carrière sous Kagame après sa victoire, et le président des Interhamwe, Robert Kajuga, beau-frère de la main gauche de Jeannette Kagame, l’instruction sur les crimes imputés à Félicien Kabuga risque fort de se recentrer non pas sur l’entourage d’Habyarimana, sur cet imaginaire réseau Zéro inventé en 1992 par  Christophe MFIZI,  mais sur l’entourage criminel de Paul Kagame.

Seront inévitablement évoqué les aveux de Valens KAJEGUHAKWA .  « Commandant en chef des brigades clandestines . Il a œuvré, dans l’ombre, à constituer, à l’intérieur du pays, des groupes-relais dont l’action a été déterminante pour la prise du pouvoir au Rwanda par Paul Kagame en juillet 1994. Trois mille cinq cents (3500) cellules étaient déjà implantées au pays au déclenchement de la guerre en octobre 1990, selon l’un des fondateurs du FPR, Tito Rutaremera, lors d’une conférence-débat organisée par le Parti du Travail Belge (PTB) à Bruxelles le 2 mai 1997.»[8]  Valens KAJEGUHAKWA a très bien expliqué comment ses brigades œuvraient pour le compte du FPR à l’intérieur du Rwanda profond et au sein des milices[9]. Il a su s’infiltrer jusque dans les sphères les plus proches du président Habyarimana : « Le président Habyarimana demanda au gouverneur Birara d’inviter chez lui les commerçants rwandais les plus prospères. Et c’est ainsi que je fis connaissance du président. Un peu plus tard, il m’invita en compagnie de Birara, puis de son beau-frère Séraphin Rwabukumba. Il était nimbé de sa victoire électorale du 24 décembre 1978, où il avait obtenu du peuple 98,99% des suffrages[10]...» Dès l’année 1978, ses «relations» avec la famille présidentielle démarrèrent et se développèrent si bien que certaines fois il était même sollicité à jouer les bons offices lorsque les querelles familiales éclataient, comme en témoigne le passage suivant: «Séraphin Rwabukumba travaillait à la Banque nationale du Rwanda et Birara était son patron. Il me demanda un jour si je pouvais être juge dans le différend qui opposait son patron à son beau-frère depuis les événements de 1980... Il fut décidé de nous rencontrer à Gisenyi, à la résidence du président au bord du lac Kivu...[11]». A lire le livre de Kajeguhakwa, on se demande si certains, n’ont pas opéré une brillante opération d’accusation en miroir, accusant Félicien Kabuga des turpitudes commises en fait par les hommes de  Valens Kajeguhakwa œuvrant pour le compte de Kagame.

Et puis, surtout, si Félicien Kabuga est accusé d’être complice par fournitures de moyens, voire co-auteur, des crimes commis par les Interahamwe, une instruction digne d’une justice impartiale se devra d’examiner et décrire en détail l’exact périmètre des crimes dont il serait le complice . Qui a été massacré par les Interahamwe ? L’instruction n’échappera à l’obligation de faire la part de ce qui reviendrait à ces Interahamwe dans les crimes commis au Rwanda en 1994 . Elle devra départager les crimes de génocide des  petits massacres considérés par Kagame et ses amis comme étant sans importance. Elle devra les quantifier. Elle  ne pourra se contenter  d’un « fait judiciaire » jeté à la hâte à la figure de la défense pour éviter tout débat , comme l’a fait le TPIR à ses débuts.

D’ailleurs, sans attendre la belle opportunité qu’offre aujourd’hui l’arrestation de Félicien Kabuga, plusieurs universitaires de haut niveau se sont penchés sur un dénombrement aussi exact que possible des victimes du génocide des tutsi[12],[13]. Les autres crimes, non imputables aux Interahamwe ont été traités par divers auteurs dont Judi Rever[14].

Jusque-là, plutôt que de débattre scientifiquement de son contenu,  les amis de Kagame ont tout fait pour empêcher que l’ouvrage de Judi REVER, publié initialement en anglais, ne soit pas édité en français[15]. Ceux que Marc le Pape et JH Bradol ont qualifié de « compagnons de route de Paul Kagamé »,  « amis démocrates des dictateurs »,  « ridicules et dangereux »  n’ont jamais pu contester sur le fond les récents écrits de Charles Onana. Incapables de critiquer avec sérieux les écrits, incapables de faire bonne figure dans un débat de fond, preuve contre preuve[16], ils ne négligent aucune occasion d’attaquer l’auteur. Les mêmes, qui se livrent à des attaques ad hominem contre Judi Rever ou Charles Onana[17], ont tenté de discréditer par une débauche de « délires propagandistes[18] » et par des affirmations mensongères le colloque qui s’est tenu le  9 mars 2020 au palais du Luxembourg[19]. Ils  vont tout faire pour que le procès de Félicien Kabuga ne se tienne jamais.

Reconnaissons qu’ils seront probablement aidés en cela par la nature. Cet homme âgé serait très malade et bien conscient  qu’il ne parviendra probablement pas à bout d’une instruction dont la durée s’annonce  importante. Son transfert au Rwanda pourrait accélérer les choses puisqu’il parait que les opposants à Kagame y décèdent parfois assez rapidement[20].

Dans ces conditions, pour donner le change, les amis de Kagame usent de l’une de leur technique favorite , celle de l’arbre qui cache la forêt : évitant d’aborder les crimes qu’ils imputent à Kabuga et faisant mine de considérer sa culpabilité comme acquise, ils tentent d’amener le débat sur sa cavale et les protections dont il aurait bénéficié depuis 1994.

Bien évidemment, respectant en cela la stratégie post-génocide de Kagame d’exportation de sa culpabilité[21] , c’est la France qui est accusée de l’avoir protégé. Il est clairement établi que Kabuga a vécu ces vingt-sept dernières années dans de nombreux pays dont la  Suisse, la Belgique, le Kenya, le Soudan, etc. Il aurait subi récemment une intervention chirurgicale en Allemagne puis a été interviewé en Norvège le 8 mai dernier. La France, seule de tous ces pays à l’avoir arrêté peu après son arrivée est curieusement la seule à qui les obsédés de la culpabilité française à tout crin reprochent de l’avoir protégé… Comprenne qui pourra, sauf à considérer que, quand un problème vous dérange – et le procès de Kabuga dérangerait fortement Kigali, s’il devait se tenir un jour - on créé un autre problème dans le problème  pour faire oublier l’essentiel.
Michel Robardey

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